Deux histoires juives

par Jean-Christophe Ogier / France Info

Ecoutez, c’est ici :

Deux romans graphiques, Dessous de l’américaine Leela Corman et Dora de l’argentin Ignacio Minaverry, proposent de regarder l’histoire contemporaine à travers les yeux de jeunes femmes juives.

Deux histoires juives et quelques regards de femmes…

© Leela Corman, çà et là / 2012

Ignacio Minaverry , l’Agrume / 2012

Cette première histoire juive nous vient des Etats-Unis et elle est signée d’une américaine de 36 ans née à New-York. Dans ces 200 pages en noir et blanc, Leela Corman raconte la vie de deux sœurs jumelles, aux destins bien différents,  qui ont grandi dans le Lower East Side, le quartier juif historique de Manhattan. Comment comprendre ce titre Dessous ? D’abord parce qu’il y est question de ce qui se passe sous les jupes des femmes. Moins pour parler des plaisirs –tout relatifs- de la chair que de leurs conséquences à une époque, nous sommes au tournant du XXe siècle, et dans une société, un milieu populaire, où les grossesses non désirées, les familles trop nombreuses et les avortements à risque étaient le lot de presque toutes les femmes. Dessous, le titre, peut aussi se comprendre par le fait que derrière cette histoire de femmes se dessine en filigrane celle de leur père, à la personnalité effacée, que tout le monde, y compris le lecteur, aurait vite fait de mépriser oubliant le jeune homme généreux que les pogroms d’Europe centrale ont transformé en orphelin qui ne trouvera jamais sa place dans cette Amérique au bord de la grande dépression.

Dora par Ignacio Minaverry est la première publication d’une nouvelle maison d’édition : l’Agrume

C’est aussi une jeune femme qui porte le roman graphique Dora. Nous allons faire connaissance de cette petite brune, au caractère secret, à la personnalité réservée, à Berlin, à la fin des années cinquante. Fille de déportés -son père est mort en camp, Dora travaille au service des archives de la Ville. Au fil des chapitres, nous la suivrons dans la France des années 60 où fleurissent villes nouvelles et municipalités communistes, puis en Argentine où les anciens nazis ont trouvé refuge pour échapper à la justice. Revendiquée, la dimension documentaire n’est jamais démonstrative, mais on est saisi par la richesse et la véracité des références à l’histoire contemporaine. Très lisible, le dessin, à la ligne claire quasi-géométrique, s’attarde sur les détails, les objets, les bâtiments. Et surtout, pour faire comprendre l’horrible efficacité de la solution finale, l’auteur a pris le parti de présenter, simplement, au fil du récit, l’organigramme d’un camp de concentration, un décret du commandant suprême de la Wehrmacht ou des extraits des rapports de la Waffen SS. Un jeune Argentin trentenaire, quasi-inconnu à ce jour de ce côté-ci de l’Atlantique, signe cette histoire, véritable surprise de la rentrée BD.